La Libération de Thiers, entre mythes et réalité

Tel est le titre de la conférence tenue à la mairie de Thiers le 11 septembre 2014, dans le cadre de la commémoration .des 70 ans de la Libération de la cité coutelière
(elle a été prononcé par M. Daniel Barthelat, Professeur d'Histoire et publiée ici avec son autorisation, qu'il en soit remercié).


Si nous sommes ici ce soir c’est un peu grâce à 3 personnes
Mon épouse Nicole, qui a su me supporter le temps consacré à cette étude, pour son aide matérielle.
Egalement.Florence Grangeponte, responsable des Archives par sa souriante pression à insister pour me faire participer à ce 70ème anniversaire. C’est une ancienne élève, je la soupçonne de s’être un peu vengée de son ancien prof en le faisant travailler. Elle a réussi.

Enfin René Dumont, qui m’a marqué par son courage, sa droiture, son honnêteté intellectuelle, nullement incompatible avec de forts engagements.

 Précision : je vais centrer mon propos sur la libération en laissant de côté beaucoup d’aspects très intéressants certes mais qui ne pouvaient tenir dans le cadre de l’exposé de ce soir, comme

Les idéaux de la Résistance,
            Le nom de tous les acteurs,
            La défaite, l’occupation, la déportation
            La révolution nationale de Pétain
            L’épuration à Thiers / les lendemains de la libération

 La libération : un beau sujet

Donc La libération de Thiers, 25 et 26 août 44 est bien le cadre de la réflexion de ce soir.

C’est déjà bien compliqué. Je vais tenter de l’éclairer un peu

Pour être plus précis, plus rigoureux et parce que le sujet est délicat, je vais devoir utiliser non le récit mais bien la forme rédigée et structurée.

Thiers est l’une des quelques villes françaises à s’être libérée par les armes. Une exception donc.

Cette libération armée a soulevé dès 1944 des débats, des polémiques, qui ont connu leur pic au cours des années 80 avec la publication de 3 écrits notamment :

·         1965 « La libération de Thiers », d’ Alexandre Bigay, d’un érudit local, maréchaliste convaincu. Récit assez honnête cependant, établi à partir de témoignages recueillis dès septembre 44

·         1983 « Quatre ans pour deux jours » de Serge Combret, jeune résistant à l’époque. Il fait notamment une apologie sans nuance du bien fondé de la libération armée de la ville et de sa bonne préparation de par les FTP

·         1984« Les tribulations d’un ouvrier agricole », de Philomen Mioch dit Titin Clavel chargé des opérations de la colonne FTP le 25 août. Dans ses mémoires, il relate avec honnêteté et simplicité sa libération de Thiers en 5 pages ; il s’appuie essentiellement sur le récit de la libération de la ville publié dans le journal de marche des FTP du Puy de Dôme, écrit dès la fin des événements.

·         Et enfin, 1985 : « La Libération de Thiers : la région thiernoise du débarquement à la fin de l’année 1944 ». mon travail universitaire La Libération de Thiers » Mémoire de Maîtrise d’Histoire, sous la direction de l’historien Jean-Jacques Becker, présenté à l’Université Blaise Pascal, à Clermont-Ferrand,

·         De plus, la Montagne et la Gazette publient par ailleurs depuis 70 ans des articles ou des pages entières consacrés aux 25 et 26 août, événement marquant de l’histoire de notre ville. Un numéro spécial lui a même été consacré en 2009 .

Les journalistes font de leur mieux pour écrire leurs articles avec les interlocuteurs dont ils disposent… et les textes sont parfois très différents au cours des ans… témoignages d’ enjeux opposés et d’interlocuteurs différents. Polémiques, le plus souvent, ce qui est un peu paradoxal, entre résistants appartenant au même mouvement FTP ; souvent les polémiques les plus vives sont sur le rôle de chacun, sur les conditions mêmes de la Libération.

Il est toujours nécessaire d’évoquer les conditions de la recherche qu’on effectue

D’abord les conditions favorables

·         J’ai eu une totale liberté donnée par Jean-Jacques Becker, professeur à l’époque à l’université de Clermont, grand spécialiste de l’histoire contemporaine. Pas de tabou, on écrit la vérité

·         Recherche favorisée aussi par une ouverture plus libérale des Archives départementales au début des années 80 où j’ai pu consulter à l’époque, tous les documents que je voulais, même ceux classés « très secrets », avec les listes nominales de tous les protagonistes, des adhérents des différents mouvements, comme les miliciens, consulter tous les rapports de police, J’ai pu faire photocopier de nombreuses pièces qui étaient autant de preuves.

Les difficultés quant à elles sont de natures différentes

·         La première tient au travail sur le témoignage, difficile quant à sa fiabilité et son utilisation même.

Je vais tenter de vous l’expliquer avec un exemple

Un témoin déclare : « La population thiernoise aidait, par tous les moyens, les résistants », en 1944. Pour un deuxième témoin, « les volets et persiennes se sont fermés dès les premiers coups de feu et ne se sont réouverts que pour la fête, après le départ des Allemands »,.

… deux témoins tout aussi honnêtes avec des témoignages complètement opposés.

Quand on est témoin, il lui est toujours est difficile de ne pas extrapoler à toute la ville, ce qui se passe dans son quartier, dans sa rue.

En outre, certains témoins ou acteurs, par ailleurs très sincères, après avoir raconté des dizaines de fois leur libération, ne sont plus en mesure de retrouver la réalité première sans des ajouts, le plus souvent involontaires, qu’ils ont greffés, au fil des années dans les récits…

·         Par ailleurs, les écrits du maquis ne sont pas nombreux et c‘est assez normal quand on est dans la clandestinité et les combats. On ne pense pas à écrire pour des historiens futurs et laisser des textes peut avoir, en cas d’arrestation, des conséquences dramatiques.

·         Les écrits des Allemands existent aux Archives de Thiers, comme dans d’autres lieux, mais il faut faire attention aux chiffres car, dans les récits de combats, ils multiplient systématiquement par deux le nombre des « terroristes » tués.

Il est donc nécessaire de croiser les documents, de les interroger méthodiquement. Ce n’est pas parce que c’est écrit et que c’est d’époque que l’on peut le considérer comme exact.

Il faut se méfier aussi de certaines informations reprises plusieurs fois dans différents textes. Certaines personnes par manque de temps, j’imagine, se contentent de recopier un auteur précédent, sans souvent le nommer, et sans se donner les moyens de vérifier si ce que le premier a écrit est vrai. Il y a quelquefois des erreurs qui se multiplient sur cinq ou six auteurs, autant de pièges à éviter. Il faut faire l’effort d’aller à l’information-source.

·         Autre difficulté : la partialité du chercheur, la mienne.

-La famille de mon épouse était dans la Résistance, elle n’a jamais connu son grand-père, arrêté et torturé par la Gestapo en avril 44 .

-Mon père était dans la Résistance.

Est-il possible garder une objectivité suffisante pour travailler sur un tel sujet, un sujet sensible et éviter de tomber dans l’apologie de toute forme de résistance.

-Par ailleurs, j’ai connu, à l’époque de mes recherches, des pressions diverses (lettre d’injures en huit pages). Menace physique à peine voilée. Une personne se disant appartenir au commando qui, en janvier 1945, avait tué quelques miliciens, blessés et emprisonnés à Thiers me l’a fait savoir avec une lourde insistance…

Cela m’a poussé à rechercher encore plus la vérité ; seule la vérité est intéressante.

 

 

                                                            I.            Une évolution très rapide de la situation dans la 2ème quinzaine d’août 1944

 

 


A ) Il ne faut pas rester seulement au niveau de Thiers. Le contexte national nous est indispensable pour comprendre les événements thiernois.

Si depuis le printemps 1944.l’histoire semblait s’accélérer fortement, rien n’est comparable avec ce qui se passe dans la dernière quinzaine d’août

Il faut rappeler certains faits :

_ le débarquement des Alliés du 6 juin 1944, en Normandie s’était quelque peu enlisé dans le bocage, mais cela se débloque , les alliés réussissent leur percée à Avranches à partir du 30 juillet.

_Les villes tombent : Rennes est libérée le 5 août, le Mans le 9, Dreux le 16, Chartres et Orléans les 15 et 18 août.

-Par ailleurs, Paris se libère du 19 au 25 août.

-Second débarquement, un peu méconnu, moins mis en valeur, celui de Provence, le 15 août 1944. Pleine réussite, malgré deux obstacles majeurs : Toulon et Marseille, deux grands ports, très bien fortifiés et disposant d’un remarquable cadre naturel de défense. Les forces françaises de De Lattre jouent pleinement l’audace et la rapidité, et cela paie. Il n’y aura jamais de guerre de position, comme en Italie, à la même époque.

Très vite, l‘offensive s’engage sur deux axes : la vallée du Rhône et les vallées alpines. Grenoble se libère le 23 et Avignon le 25 août.

La tenaille entre les deux débarquements commence sérieusement à se refermer. (Les deux forces se rejoindront le 12 septembre en Bourgogne.)

Troisième fait, pas très connu : dès le 23 juillet, avant la percée d’Avranches, Hitler accepte la proposition, de son Etat- Major, d’envisager un repli de France, pour organiser une ligne de défense le long de la ligne Siegfried, .repli qui sera appliqué ; ce qui permettra aux armées de Montgomery d’occuper d’un trait tout le nord de la France et toute la Belgique .( Après Bruxelles, ce sera Anvers le 4 septembre). Resteront en France les fameuses poches de l’Atlantique : Bordeaux, La Rochelle, Royan…

Donc, fait majeur, dans la deuxième quinzaine d’août, les forces allemandes sont dans une situation de repli, de retraite accélérée, ce qui n’enlève rien à leur redoutable efficacité militaire.

B l’échelle locale

1.      Tout d’abord les résistants

·         Il faut distinguer les résistants de la ville qui ont gardé leur vie de famille et leur emploi. Ils se réunissent clandestinement et mènent diverses actions de résistance, jusqu’aux sabotages.

·         Il y a des éléments des MUR ‘(Mouvements Unis de la Résistance).

·         et des FTP sédentaires, autour de Charles Hainchelin, professeur, de Victor Baudry

·         et d’autres, des milices patriotiques : quelques dizaines d’hommes qui guideront les maquisards dans la ville et combattront également..

Le problème principal de ces résistants est le manque d’armes. En principe, les particuliers avaient dû remettre toutes les armes de chasse à l’Etat. Un des résistants, Jean-Jacques Caburol, le reconnaît peu après la libération, dans un article de « Liberté » : « Le nombre d’armes était très insuffisant pour mes volontaires » et, le 25 août au matin, « c’est à qui se dévouera pour trouver des fusils de chasse et des fusils de l’autre guerre ».

 

·        2ème force : Une colonne FTP, venue du col du Béal, environ 110 hommes, pris dans différentes compagnies du 103ème bataillon FTP, assez mal équipés, et .ils le reconnaissent eux-mêmes. Je cite : « 7FM, avec au maximum 250 cartouches par arme ; deux tiers des hommes avaient leur fusil individuel, accompagné de 50 à 100 coups, les autres ne disposaient que de la médiocre mitraillette STEN avec 2 ou 3 chargeurs ». Ils avaient également, en leur possession 3 mitrailleuses, mais leur emploi était difficile dans un terrain aussi accidenté, et ils ne voulaient les risquer à aucun prix .

Interviendront aussi dans les combats :

·         quelques éléments du 104ème bataillon FTP d’Ambert, dans l’après-midi du 25 et le 26 août

·         des MUR, au camp des Etivaux (commune de Saint-Victor- Montvianeix), commandés, depuis le 15 août, par Serge Renaudin T1 (dit « Victoire »), nommé responsable, passé très vite de sergent-chef à commandant, avec une personnalité très contestée (on ne sait pas dans quelles conditions il a quitté Vichy, et il adore se promener dans la voiture de Laval), à la tête de quelques centaines d’hommes,

·         ils sont renforcés par des GMR qui avaient déserté depuis peu

·         et des membres de la Garde personnelle de Pétain, passée au maquis avec véhicules et essence, le 23 août 1944. (GMR et Garde peu appréciés des résistants)

Ce sont donc des forces importantes mais qui ont pour consigne une entrée, par l’est, sur Clermont-Ferrand, après le départ des Allemands.

2) Face à eux à Thiers Les Allemands

·         Ils appartiennent au 18ème Bataillon de Grenadiers SS de la Panzer Division Wessel. C’est une troupe puissamment armée mais inquiète.

·         - Dès juillet 44, l’inquiétude quant à des actions du maquis se marque par des consignes renforcées.

-T3 Ils demandent que tout décès par balle leur soit signalé

- gardes de nuit doublées

- Consignes strictes pour la circulation des véhicules

·         son moral est plutôt en berne

lls ont une grande incertitude sur le nombre réel de maquisards dans les montagnes et les bois du Livradois et du Forez. Alors que généralement leur service est plutôt bien renseigné et précis, il l’estime à 5000, alors qu’il est 10 fois inférieur.

·         - Ils éprouvent une certaine lassitude due à la longueur de la guerre

·         - L’attentat contre Hitler a troublé les soldats et surtout les officiers

·         - La troupe manque d’homogénéité : on trouve beaucoup de Polonais, Hongrois, Tchèques, Roumains qui doutent du succès allemand, au moment où l’Armée Rouge est victorieuse et fait reculer les Allemands dans leurs pays respectifs. Ce 18ème Bataillon avait été replié du front de l’est, car on estime, qu’en Auvergne, les désertions seront plus difficiles.

Cette force demeure redoutable

cependant dès le 22 août, beaucoup de soldats et de matériel commencent à quitter Thiers pour Vichy avec leur chef, le lieutenant colonel Kremer.

Le 25 août, au matin, il reste un peu moins de 400 Allemands, avec une puissance de feu considérable, notamment avec des armes lourdes : des FM, des mitrailleuses, des mortiers, des lance-flammes et des stocks importants de munitions. Pour évacuer tout cela, ils ont réquisitionné des camions et des chauffeurs thiernois.

(L’efficacité de ce bataillon s’était révélée dans tous les combats avec la Résistance, en juin- juillet 1944 : beaucoup de maquisards avaient été tués ou fusillés. Très peu d’Allemands avaient été mis hors de combat dans la région.)

Le 25 août au matin, au début des combats, les Allemands de Thiers sont regroupés dans 4 bâtiments

: le Marché couvert, l’hôtel de l’Aigle d’Or, le Collège Audembron et l’Ecole Saint-Joseph

·         Des renforts pouvaient arriver, provenant de Clermont ou de Vichy ; c’est par ailleurs ce qui s’est effectivement produit le 25 quand une cinquantaine d’Allemands (4 camions) venant de Vichy est arrivée pour leur prêter main forte .

·         Des alliés efficaces des Allemands les miliciens (ils dépendaient directement de leur commandement depuis le 6 juin 1944. Par leur connaissance des gens et des lieux, ils avaient permis de nombreuses arrestations de résistants et attaques contre les maquis).

Mais leur rôle sera négligeable dans la libération de Thiers, car les plus engagés et dangereux (en tout, 16) sont déjà partis. Ceux qui restent cherchent plutôt à se faire oublier.
 

La Libération de Thiers, entre mythes et réalités

Tel est le titre de la conférence tenue à la mairie de Thiers le 11 septembre 2014, dans le cadre de la commémoration .des 70 ans de la Libération de la cité coutelière.

Si nous sommes ici ce soir c’est un peu grâce à 3 personnes

Mon épouse Nicole, qui a su me supporter le temps consacré à cette étude, pour son aide matérielle également.

Florence Grangeponte, responsable des Archives par sa souriante pression à insister pour me faire participer à ce 70ème anniversaire. C’est une ancienne élève, je la soupçonne de s’être un peu vengée de son ancien prof en le faisant travailler. Elle a réussi.

Enfin René Dumont, qui m’a marqué par son courage, sa droiture, son honnêteté intellectuelle, nullement incompatible avec de forts engagements.

Précision : je vais centrer mon propos sur la libération en laissant de côté beaucoup d’aspects très intéressants certes mais qui ne pouvaient tenir dans le cadre de l’exposé de ce soir, comme

Les idéaux de la Résistance,

Le nom de tous les acteurs,

La défaite, l’occupation, la déportation

La révolution nationale de Pétain

l’épuration à Thiers / les lendemains de la libération

La libération : un beau sujet

Donc La libération de Thiers, 25 et 26 août 44 est bien le cadre de la réflexion de ce soir.

C’est déjà bien compliqué. Je vais tenter de l’éclairer un peu

Pour être plus précis, plus rigoureux et parce que le sujet est délicat, je vais devoir utiliser non le récit mais bien la forme rédigée et structurée.

Thiers est l’une des quelques villes françaises à s’être libérée par les armes. Une exception donc.

Cette libération armée a soulevé dès 1944 des débats, des polémiques, qui ont connu leur pic au cours des années 80 avec la publication de 3 écrits notamment :

·         1965 « La libération de Thiers », d’ Alexandre Bigay, d’un érudit local, maréchaliste convaincu. Récit assez honnête cependant, établi à partir de témoignages recueillis dès septembre 44

·         1983 « Quatre ans pour deux jours » de Serge Combret, jeune résistant à l’époque. Il fait notamment une apologie sans nuance du bien fondé de la libération armée de la ville et de sa bonne préparation de par les FTP

·         1984« Les tribulations d’un ouvrier agricole », de Philomen Mioch dit Titin Clavel chargé des opérations de la colonne FTP le 25 août. Dans ses mémoires, il relate avec honnêteté et simplicité sa libération de Thiers en 5 pages ; il s’appuie essentiellement sur le récit de la libération de la ville publié dans le journal de marche des FTP du Puy de Dôme, écrit dès la fin des événements.

·         Et enfin, 1985 : « La Libération de Thiers : la région thiernoise du débarquement à la fin de l’année 1944 ». mon travail universitaire La Libération de Thiers » Mémoire de Maîtrise d’Histoire, sous la direction de l’historien Jean-Jacques Becker, présenté à l’Université Blaise Pascal, à Clermont-Ferrand,

 

·         De plus, la Montagne et la Gazette publient par ailleurs depuis 70 ans des articles ou des pages entières consacrés aux 25 et 26 août, événement marquant de l’histoire de notre ville. Un numéro spécial lui a même été consacré en 2009 .

Les journalistes font de leur mieux pour écrire leurs articles avec les interlocuteurs dont ils disposent… et les textes sont parfois très différents au cours des ans… témoignages d’ enjeux opposés et d’interlocuteurs différents. Polémiques, le plus souvent, ce qui est un peu paradoxal, entre résistants appartenant au même mouvement FTP ; souvent les polémiques les plus vives sont sur le rôle de chacun, sur les conditions mêmes de la Libération.

Il est toujours nécessaire d’évoquer les conditions de la recherche qu’on effectue

D’abord les conditions favorables

·         J’ai eu une totale liberté donnée par Jean-Jacques Becker, professeur à l’époque à l’université de Clermont, grand spécialiste de l’histoire contemporaine. Pas de tabou, on écrit la vérité

·         Recherche favorisée aussi par une ouverture plus libérale des Archives départementales au début des années 80 où j’ai pu consulter à l’époque, tous les documents que je voulais, même ceux classés « très secrets », avec les listes nominales de tous les protagonistes, des adhérents des différents mouvements, comme les miliciens, consulter tous les rapports de police, J’ai pu faire photocopier de nombreuses pièces qui étaient autant de preuves.

Les difficultés quant à elles sont de natures différentes

·         La première tient au travail sur le témoignage, difficile quant à sa fiabilité et son utilisation même.

Je vais tenter de vous l’expliquer avec un exemple

Un témoin déclare : « La population thiernoise aidait, par tous les moyens, les résistants », en 1944. Pour un deuxième témoin, « les volets et persiennes se sont fermés dès les premiers coups de feu et ne se sont réouverts que pour la fête, après le départ des Allemands »,.

… deux témoins tout aussi honnêtes avec des témoignages complètement opposés.

Quand on est témoin, il lui est toujours est difficile de ne pas extrapoler à toute la ville, ce qui se passe dans son quartier, dans sa rue.

En outre, certains témoins ou acteurs, par ailleurs très sincères, après avoir raconté des dizaines de fois leur libération, ne sont plus en mesure de retrouver la réalité première sans des ajouts, le plus souvent involontaires, qu’ils ont greffés, au fil des années dans les récits…

·         Par ailleurs, les écrits du maquis ne sont pas nombreux et c‘est assez normal quand on est dans la clandestinité et les combats. On ne pense pas à écrire pour des historiens futurs et laisser des textes peut avoir, en cas d’arrestation, des conséquences dramatiques.

·         Les écrits des Allemands existent aux Archives de Thiers, comme dans d’autres lieux, mais il faut faire attention aux chiffres car, dans les récits de combats, ils multiplient systématiquement par deux le nombre des « terroristes » tués.

Il est donc nécessaire de croiser les documents, de les interroger méthodiquement. Ce n’est pas parce que c’est écrit et que c’est d’époque que l’on peut le considérer comme exact.

Il faut se méfier aussi de certaines informations reprises plusieurs fois dans différents textes. Certaines personnes par manque de temps, j’imagine, se contentent de recopier un auteur précédent, sans souvent le nommer, et sans se donner les moyens de vérifier si ce que le premier a écrit est vrai. Il y a quelquefois des erreurs qui se multiplient sur cinq ou six auteurs, autant de pièges à éviter. Il faut faire l’effort d’aller à l’information-source.

·         Autre difficulté : la partialité du chercheur, la mienne.

-La famille de mon épouse était dans la Résistance, elle n’a jamais connu son grand-père, arrêté et torturé par la Gestapo en avril 44 .

-Mon père était dans la Résistance.

Est-il possible garder une objectivité suffisante pour travailler sur un tel sujet, un sujet sensible et éviter de tomber dans l’apologie de toute forme de résistance.

-Par ailleurs, j’ai connu, à l’époque de mes recherches, des pressions diverses (lettre d’injures en huit pages). Menace physique à peine voilée. Une personne se disant appartenir au commando qui, en janvier 1945, avait tué quelques miliciens, blessés et emprisonnés à Thiers me l’a fait savoir avec une lourde insistance…

Cela m’a poussé à rechercher encore plus la vérité ; seule la vérité est intéressante.

 

III – Réussite et bilan

A.     Pourquoi les résistants ont-ils réussi dans leur attaque de la garnison allemande ?

Il faut bien tenter de trouver des raisons pour expliquer l’incroyable efficacité d’une centaine de combattants mal équipés, face au triple de soldats aguerris par de longues années de combats, bien retranchés et lourdement armés.

J’avance cinq explications

1-la souplesse dans le commandement de la colonne FTP :

·         le commandant Pigeon confie au capitaine Philomen Mioch, commissaire aux effectifs et non aux opérations, la conduite générale des opérations qui, à son tour, sans états d’âme, confie la direction stratégique de l’investissement de la ville à 2 officiers d’active qui viennent tout juste de rejoindre le 103ème Bataillon, car jugés sans doute plus experts dans le déploiement des attaquants.

·         Acceptation aussi par les FTP de l’organisation des combats par des MUR, comme Bataille et Bechon.

·         Rapidité et efficacité aussi dans l’élaboration de la stratégie d’investissement. (fractionnement en petits groupes selon 3axes

·         Remarquable adaptation d’attaque à une situation non prévue par les FTP.

Explication 2-Courage exceptionnel des jeunes combattants FTP, reconnu par tous.

Je vais citer 4 personnes qui ne leur étaient pas favorables :

Le pétainiste Bigay, « Les FTP, renforcés de quelques civils, se battaient avec fureur »

Bargoin, de la Légion « Tous faisaient preuve d’un cran magnifique »

« Bien que la situation ait été parfois critique, ils n’ont jamais admis d’autre éventualité que de se faire buter sur place …

le notaire Guillaumont : «  Je tiens à signaler la parfaite tenue au feu de tous les FTP tirant souvent à découvert avec une grande témérité»

et même un officier allemand, capturé à Estivareilles, qui a dit à propos des maquis « Ce sont de redoutables adversaires que je ne peux comparer qu’aux Russes par leur fanatisme et leur mépris de la mort »

3-Pratique de l’amalgame entre les maquisards qui ne connaissent pas du tout la ville et les sédentaires qui les conduisent aux meilleurs emplacements de tirs

4-Aide précieuse et efficace de la population locale,

Les civils (on le voit très bien sur les photographies de l’époque) étaient partout mêlés aux combattants

si certains restaient spectateurs (souvent imprudents même mécontents comme cette thiernoise qui excédée interpelle un maquisard «  vous en avez encore pour longtemps ? »)

beaucoup hommes, femmes, enfants apportent leur participation à de multiples niveaux,

·         pour le ravitaillement en boissons (il faisait extrêmement chaud ce jour-là),

·         pour guider les FTP dans le dédale de la ville, montrer les meilleurs postes de tir (terrasses, jardins),

·         pour constituer des équipes soignantes afin de porter secours aux blessés,

·         pour aider dans l’organisation des combats se sont présentés des éléments des MUR Bataille, Bechon…

à combattre (comme un certain Gimel qui obtient pratiquement seul la reddition d’une vingtaine d’Allemands qui tenaient encore au collège Saint-Joseph),

·         à noter la collaboration exceptionnelle des employés de la poste (beaucoup de femmes ) pour maintenir les communications tant bien que mal entre les groupes de résistants ou surprendre celles des Allemands et les transmettre aux maquis,

·         l’aide aussi apportée par des autorités civiles mises en place par Vichy notamment celle du lieutenant-colonel Brasset qui sut par son grade et son caractère prendre un ascendant certain sur l’officier allemand lors des différentes phases de négociations.

Enfin, explication 5- le cadre médiéval très marqué de la ville, avec sa mosaïque de toits, son dédale de rues et de passages étroits, d’escaliers reliant parties hautes et basses de la ville. Tout facilite les déplacements rapides et les attaques surprises en petites unités avec des armes légères.

Du côté allemand

Sauf vers 14h, quand ils lancent une série d’offensives, avec action de lances-grenades, mitrailleuse, mortier et prise d’otages, ils se sont plutôt laissé enfermer dans leurs bâtiments, ignorant sans doute pendant longtemps les forces réelles des maquisards. Ces derniers, dans les phases de négociations, n’hésitaient pas à avancer des chiffres de plusieurs milliers d’hommes.

Cette désinformation a été efficace sur une troupe désorientée,. Ils ne s’attendaient pas du tout à une attaque en ville et ils envisageaient simplement un repli sur Vichy. C’était un ordre, et jusqu’alors leur vie en ville avait été plutôt tranquille.

Ils ont laissé un officier subalterne, d’origine autrichienne, Reingruber, se charger de l’évacuation. Son passé de responsable de la jeunesse socialiste, à Vienne, a certainement joué un rôle important dans les négociations, avec un rôle temporisateur par rapport à ses sous-officiers allemands qui voulaient en découdre jusqu’au bout.

La troupe était également démoralisée. Il y avait de nombreux non-allemands, ce qui a joué un rôle non négligeable.

De plus, du point de vue militaire la topographie de la ville les a desservis quant à la mise en place de leurs armes lourdes dont ils étaient très bien pourvus

B) Peut-on tirer un bilan de ces deux journées de libération, par les armes, de la ville ?

Dans son avant- propos, Alexandre Bigay rapporte un court dialogue qu’il a eu avec un Thiernois : « Ne croyez-vous pas qu’en réalité cette attaque fut une erreur? » Le Thiernois répond : « Si, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire».

A l’opposé, Serge Combret, dans un texte publié dans la Gazette, en 1980, déclare : « La décision de libérer Thiers par les armes n’a pas été prise à la légère (par le mouvement FTP) ».

Plutôt que de s’enfermer dans une opposition sans fin de jugement de valeur, je vous propose, pour faire le bilan de la libération de Thiers, une analyse par échelle

·         A l’échelle locale

Le bilan humain,

--du côté français se monte à une dizaine de morts, essentiellement dans la Résistance intérieure et les civils, une vingtaine de blessés graves et beaucoup de blessés légers dans la population

-du côté allemand, il y a: le double de morts, une vingtaine et une cinquantaine de blessés, et peut-être même plus.

A mettre aussi au compte de cette journée la libération des quelques dizaines de chauffeurs thiernois qui avaient été réquisitionnés et aussi des prisonniers thiernois, libérés à cette occasion.( Il faut se rappeler qu’à Clermont, où on a laissé partir les Allemands sans intervenir, ils ont effectué des destructions et surtout exécuté leurs prisonniers jusqu’au dernier moment.)

Cependant, il faut le reconnaître, le risque encouru par les résistants et surtout la population civile a été considérable.

Une utilisation efficace des armes lourdes aurait pu détruire une grande partie de la ville haute et surtout causer des pertes par centaines.

L’arrivée de blindés, de Vichy, aurait eu des conséquences dramatiques.

Un drame majeur a été évité de peu ce jour là. Le bilan est mitigé en raison du nombre de morts toujours trop nombreux et des risques considérables encourus.

·         A l’échelle régionale et nationale

Le bilan est positif.

Les combats de Thiers ont enlevé au champ de bataille national une force redoutable,(près de 400 hommes) force bien équipée, très bien armée ,bien pourvue en stocks de vivres et de munitions. Combien de résistants ou de soldats alliés auraient été tués si cette troupe n’avait pas été mise hors de combat ?

Nous pouvons faire par ailleurs constater que la libération de Paris e qui se déroule en même temps que celle de Thiers présente bien des caractéristiques semblables :

-des Allemands isolés qui se maintiennent dans de solides points d’appui

-des successions de trêves plus ou moins respectées

-des réactions brèves mais violentes des Allemands

-une exaltation à se libérer en dépit des risques

-une situation mal contrôlée dans les 2 camps, où le tragique peut apparaître très vite

-enfin un bilan des pertes très en défaveur des Allemands

Une ville qui se libère peut être très dangereuse pour son occupant. Ainsi il semblerait que, dans certaines circonstances, toutes les audaces soient permises.( Il y a quand même quelques contre-exemples : on pense à Varsovie…)

On ne peut terminer cet exposé sans rendre hommage à tous ces résistants, souvent jeunes, qui ont mis, à 20 ans, parfois moins, leur vie en jeu, pour un avenir meilleur, plus libre, un sacrifice au service des autres, (ce qui n’est pas bien facile à comprendre aujourd’hui).

C’étaient beaucoup de jeunes français, mais beaucoup d’étrangers aussi ; ils étaient souvent de conditions plus que modestes…

Une question demeure toujours : Qu’aurait-on fait à leur place ? Heureusement, il y en a quelques-uns, dans cette salle, qui ne se posent pas la question, parce qu’ils avaient trouvé la réponse, ils avaient fait le choix du courage, et on ne peut que les applaudir.

 

Pas de conclusion ; c’est à vous de la tirer.

Mon exposé était-il objectif ? Qui peut prétendre à l’objectivité ?

A l’honnêteté, sans doute.